L'intelligence collective, c'est pas automatique !
Par Nils
- 5 minutes de lecture - 875 motsJe suis entre 2 modules de formation animée et organisée par l’Institut des futurs souhaitables, la formation s’intitule Organisations souhaitables.
Lors de la première journée, nous avons notamment abordé la notion d’intelligence collective. Ce que c’est. Ce que ce n’est pas.
Partage.
Une anecdote pour commencer
Le magazine Nature publie, le 7 mars 1907, un article de Sir Francis Galton.
Ce dernier assiste, à Plymouth, à une foire comme en il existe tant d’autres. Au cours de celle-ci est organisé un concours où il faut deviner le poids de viande prête à la consommation à partir d’un bœuf exposé sur scène. Les compétitrices et compétiteurs voient donc le bœuf vivant. Le concours est payant, chaque participant devait acheter un carton, y inscrire son nom ainsi que son estimation de poids de viande prête à la consommation. 800 personnes participent, Sir Galton récupère les cartons et ne peut en analyser que 787, 13 étant inexploitables.
Or, il s’avère que parmi tous les experts bouchers, fermiers et probablement beaucoup d’autres personnes non expertes profitant d’une journée d’excursion, personne n’a deviné la bonne réponse : 1198 lbs. Cependant, la moyenne de toutes les réponses était presque exacte : 1197 lbs (et en plus, les réponses étaient normalement distribuées autour du chiffre correct).
Sir Galton démontre, dans son article, qu’un nombre suffisant de participants, qui émettent tous leurs propres jugements indépendants, peuvent individuellement se tromper en grande partie, mais collectivement être extrêmement précis.
Intelligence collective
Réunir quelques personnes dans une salle et les faire réfléchir ensemble ne garantit pas une intelligence collective, une intelligence qui dépasse celle de chaque personne.
Quelques ingrédients indispensables pour que l’intelligence émerge
Motivation/engagement : la motivation de chaque personne présente, mobilisée est indispensable. Dans l’anecdote de Plymouth, l’engagement est généré par le coût du ticket et l’envie de gagner, une personne non motivée, non engagée aurait très bien pu proposer une estimation à 10.000 lbs.
Diversité d’opinions : cela peut sembler bête, mais quand vous réfléchissez au management de votre collectif, invitez-vous des personnes qui ne sont pas manager ? Quand vous réfléchissez à votre produit, invitez vous de temps à autre des clients ? Etc…
Indépendance : chacun.e est libre de penser comme il/elle l’entend, de partager, de demander, de proposer.
Cadre de sécurité : bienveillance sans complaisance, confidentialité, logique de contribution (partager son point de vue et droit à la non réussite) et souveraineté individuelle (choix en conscience de partager, de demander, de proposer…)
Décentralisation : proposer autre chose que des avis lissés
Système d’agrégation : il faut un système pour agréger les idées, dans l’anecdote ci-dessus, c’est une simple moyenne, dans un design sprint, cela peut être une galerie des solutions, …
Je reviens sur Sir Galton : les estimations extrêmes (la plus basse et la plus haute) pourraient être considérées comme ridicules car les plus éloignées de la réalité mais, parce qu’il y a un mais, sans l’une ou l’autre d’elles, la moyenne ne serait plus aussi juste.
Les solutions marginales qui vont émerger lors de vos séances collectives vont servir le collectif, cultiver la diversité.
Le bon résultat collectif est aussi dû aux résultats aberrants de certain.es. Ne les ignorons pas.
Pensée de groupe
Pour être bref, la pensée de groupe = entre soi ou, pour citer un des formateurs, “ comment être puissamment débile ensemble ”.
Les ingrédients qui vont favoriser la pensée de groupe plutôt que l’intelligence collective :
- le groupe homogène
- le leadership descendant
- l’autocensure est présente
- la sur-rationalisation
- l’illusion d’invulnérabilité
- le stress
Je réécris cette phrase : réunir quelques personnes dans une salle et les faire réfléchir ensemble ne garantit pas une intelligence collective.
J’en fais quoi de cet apprentissage ?
Ce que j’écris ici, je l’ai partagé, il y a peu, dans deux communautés. Une avec des collègues qui partagent des convictions autour de la complexité, de la systémie. Une autre composée de coaches aux facettes diverses (RH, Produit, Leadership, UX).
Lors de ces partages, il y a eu pas mal de questions, de conversations. Voici quelques moments choisis :
Une personne m’a demandé : “ Chouette ce partage, tu vas en faire quoi ? ”
Réponse à chaud : Lors de mes préparations d’ateliers je serai plus attentif à certains aspects, je pense notamment à des points comme l’homogénéité du groupe ou le leadership descendant (qui pourrait engendrer stress et autocensure)
Une autre m’a invité à réfléchir et m’a notamment posé ces questions
- “ Tu vas changer quoi dans ton questionnement ? ”
- “ Comment tu peux traduire ça en question ? ”
- “ Comment vas-tu aller chercher ces conditions ? ” Bonnes questions ! Ces conditions paraissent si simples et si claires.
- “ Comment cela peut irriguer ta pratique ? ” C’est tout l’enjeu ! Transformer cette découverte, cet apprentissage en de nouvelles habitudes, de nouveaux réflexes. (l’écriture de cet article est, pour moi, un pas de plus vers l’ancrage.)
Il y a effectivement des choses qui sont facilement sondables (diversité du groupe, posture des participant.es) mais, par exemple, la motivation c’est plus flou, plus fin, plus nébuleux et très expérientiel.
Bibliographie :
- Un article sur les recherches de Sir Galton
- Un article de Pierre Lévy, le père de l’expression “intelligence collective”
Crédits photo : Gertrūda Valasevičiūtė
Et bon anniversaire Papa <3