Il existe une autre loi de la jungle
Par Nils
- 5 minutes de lecture - 1039 motsCe titre est une phrase issue du livre “L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents” écrit par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle.
Qu’est-ce que ces deux auteurs veulent dire avec cette phrase ?
Compétition, individualisme
La loi de la jungle dans mon imaginaire et sans doute dans le vôtre aussi peut être reformulée en la loi du plus fort. J’y perçois notamment de la compétition, de l’individualisme.
Plus jeune, j’ai fait beaucoup de sport en compétition, ces notions ne me gênent pas, elles me conviennent dans ce cadre-là.
Alors, pourquoi cela me convient dans ce cadre-là et pas dans un cadre plus large ? Dans le cadre de l’entreprise par exemple, que cela soit des équipes entre elles, des départements entre eux ? Dans le cadre du monde économique ?
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle m’apportent des éléments de réponse : dans le cadre du sport de compétition les personnes, les équipes qui s’affrontent sont préparées et prêtes pour ça.
Pour moi, “préparées et prêtes” signifient une préparation physique, technique, mentale, stratégique et tactique.
Je participe à un match de rugby si mon corps me permet la vitesse, la souplesse, la force requises, si je sais faire une passe à gauche, à droite, si je sais plaquer et plein d’autres gestes techniques nécessaires dans un match, si je suis engagé.e, investi.e dans le match, si j’ai eu accès au plan de jeu établi dans la semaine précédant le match, si j’ai à ma disposition des choix de jeu pour m’adapter en temps réel sur le terrain.
Dans le monde de l’entreprise, sommes-nous préparé.e.s à la compétition ?
Quid du physique des personnes ? De leur bien-être, de leur bonne santé, de leur épuisement ?
Quid de la technique des développeurs ? Des POs ? Des PMs ? Des managers ? Y a-t-il des temps pour s’entraîner et progresser ? Y a-t-il de la valorisation des nouvelles capacités acquises ?
Quid de l’engagement de chacun.e ? On connaît tou.te.s des personnes non-engagées voir désengagées, peut-être vous-même.
Quid de la stratégie ? Existe-t-elle ? Est-elle partagée à toute l’entreprise ? Est-elle revue ?
Quid de la tactique, de la décision en temps réel ? Est-ce que les personnes disposent de plusieurs options pour réaliser leurs activités ? Faut-il absolument suivre les milestones de la roadmap posée au lancement, moment où on en savait le moins sur le projet/produit ? Faut-il respecter un “single right plan” ? Faut-il faire toujours plus de la même chose ? Les personnes disposent-elles d’assez de marge de manœuvre pour décider ?
Il est très possible que des personnes ne soient pas préparées à cette compétition, à cet individualisme entre équipes, entre services.
Que doivent alors faire ces personnes ? On les garde de force dans le bateau ? C’est sans danger ça ?
Du coup, on les laisse de côté ?
Coopération et entraide
Il existerait donc une autre loi de la jungle, quelle est-elle ? Pablo Servigne et Gauthier Chapelle écrivent : “Le vivant, ce ne sont pas des espèces qui essaient de vivre séparément, ou contre les autres, c’est surtout un tissage de relations dans tous les sens. Et, dans ces relations, les plus bénéfiques sont les relations d’entraide.” Ils ajoutent : “Depuis 3,8 milliards d’années, ça se passe comme ça : chaque apparition de nouvelles façons de vivre s’accompagne de nouvelles alliances […] Bref, il y a bien une autre loi de la jungle qui régit les relations entre espèces : c’est l’entraide.”
“Bref, il y a bien une autre loi de la jungle qui régit les relations entre espèces : c’est l’entraide.”
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle.
L’entraide, ça peut paraître simpliste, naïf mais je constate au fur et à mesure de mon chemin professionnel que ce n’est pas si simple de demander de l’aide, de montrer une part de vulnérabilité. Cela demande de la confiance dans l’autre, cela demande que l’autre ne juge pas, que l’autre accueille.
Dans l’entreprise, on parle souvent de “développement personnel”. Super ! Génial ! On y apprend plein de choses que nos parcours scolaires ne nous ont pas appris.
Pourquoi ne pas pousser encore un peu le curseur et parler de “développement collectif” ? Cette expression je l’ai également découverte dans le livre de Pablo Servigne. J’aime cette opposition personnel / collectif, développement personnel / développement collectif.
Qu’est-ce que je mettrais derrière cette expression de “développement collectif” ?
- S’entraîner en groupe à faire son métier sur ces heures de travail ?
- Disposer d’un espace pour demander de l’aide au groupe ?
- Participer à une communauté de pairs ? De façon régulière et fréquente ?
- Animer des communautés de pairs cross départements / services / entités ?
- Participer des ateliers comme le give and take, les cartes des forces ou à de l’impro théâtrale ?
- Tenter des expérimentations comme la sociocratie ?
- Façonner ce maillage en entreprise que la nature tisse depuis 3,8 milliards ?
Dans un précédent post que j’avais intitulé Il existe autre chose…, j’avais dénoncé l’omniprésence des processus, l’omniprésence des single right plans et du management “bâton carotte” dans mon environnement de travail.
Ce livre ouvert un peu par hasard, sur les conseils d’ami.e.s (merci !), continue à alimenter mes réflexions sur d’autres possibles, d’autres possibles que je trouve plus adaptés au contexte de 2023 que je cotoie.
Le mot de la fin pour Pablo Servigne et Gauthier Chapelle ? “Les gens ont tellement besoin de liens et d’authenticité, de se confier, de se connaître, de retouver de la confiance et de la puissance ! On ferait d’une pierre deux coups : accueillir les émotions, décharger son sac, connaître ses voisins, tisser un réseau de solidarité, etc.”
Bibliographie
Le livre ;-)
- “L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants.. et à nos parents” écrit par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle.
Sur le développement collectif
- Un article de Pablo Pernot sur l’atelier des cartes des forces
- Un post de Pauline Garric sur l’impro théâtrale
- Un article de Pablot Pernot sur des ateliers pour développer l’esprit de groupe
- Un article de Pauline Garric et Elsa Thomas sur le comment passer d’un groupe à une équipe avec le modèle de Tuckman
- Le même sujet par Pauline et Elsa en video
(Crédits Photo Alenka Skvarc)